NIGHT WORDS
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LE VOYAGE DU CORBEAU
extrait: COUPURE - v. fr.

Marie-Jo Lafontaine Lost ParadiseLe Voyage du Corbeau

Coupure

 

 

Les conditions des villes ont exclu la plante. La plante est insignifiance. La plante est maladie. La plante salit les façades. La plante n’est pas neutre.

Pourtant aller le long des tiges voir perler le duvet, filer sous une canopée chasser la matière et ses développements variables. Pourtant brûler son âme pour cet os fin et fragile qui tient l’orchidée par sa nuque, ou pour le bel affût d’une herbe haute. Se lover dans ces langues de satin mat qui se décrispent en quelques heures de leurs bogues de chlorophylle. Y chercher la douceur, n’y trouver que des chuintements astringents et des échafaudages de survivance. C’est la seule parole du végétal. Sa seule guerre. On pourra les mettre dans des zoos botaniques comme des curiosités, on pourra les couper, les reproduire, les croiser génétiquement, on pourra les cuisiner, les dissoudre où même les fumer. Bref on peut leur nier toute existence… mais on n’en fera jamais que ce que la nature veut bien laisser faire. On veut la fleur toujours douce, elle en aura peut-être l’aspect mais peu souvent la texture. Fleur dont bien souvent la vocation première est de mentir à l’insecte qui sera le porteur potentiel de la descendance, usant de couleurs et de parfums vifs. Mais on y retourne. Comme si le lien était nié depuis toujours puis soudain glorifié à l’aube de son réel effacement, ce qui est un développement classique vous en conviendrez. L’humain détruit, éloigne, écarte d’abord. Puis quand la situation devient intenable, il reconsidère sa position et parfois l’assouplit. C’est à peu près ce qui le différencie du rat (qui, lui, se fout des fleurs). Le rat ne se roule pas dans les fleurs en chantant La Vie En Rose. Le rat passe sa vie à subsister et à se battre. L’humain passe sa vie à subsister, à se battre, et à se rouler dans les fleurs en chantant La Vie En Rose. On objectera que là aussi il détruit, mais c’est pinailler.

Retrouver des jeux d’enfants, parce que l’enfant n’était pas aveuglé. Faire siffler un brin, ou tirer le haut d’un graminé entre le pouce et l’index pour voir dans le petit amas de houppes une poule ou un coq. Se dire qu’un coquelicot ressemble à un lit encore chaud d’un vrai sommeil. Que si les humains avaient eu plus de poésie que de cupidité, le Bouton d’Or ils l’auraient appelé Bouton de Soleil.

Ces champs de petites pointes molles et jaunes bordées de grandes pales veinées qui se courbent au vent. Ces déferlements de croissance qui font changer en une nuit la couleur d’un paysage du vert sombre au chiné de fuschia et d’orange, pour peu que nous ne soyons pas les daltoniens d’une autre réalité. C’est toujours une question de fréquences, et d’un trait on passe de la couleur à la chaleur, de la chaleur au son. Si les fleurs élèvent le ton c’est dans un froissement de marée qui fait claquer les focs des étendues de tulipes, les écoutilles des pissenlits perdus. Et cultivée ou entre deux dalles, la fleur fait son job. Et fasciné tout autant que terrorisé, l’humain croit la discipliner. Lotus et amarylis, pensée et chrysanthème, fleur du mal ou nénuphard, tout ce que nous coupons repousse en nous.



Nicolas Deckmyn Bruxelles - Avril 2002

Ecrit pour le livre de Marie-Jo Lafontaine: -"Lost Paradise" (Bernhard Knaus Edition) - été 2002

http://www.bernhardknaus-art.de

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